Le MMA, vilain petit canard des sports de combat?
Le MMA ou Arts Martiaux Mixte, une activité qui fait peur, qui dérange en raison de ce qu’il représente médiatiquement. Il ne faut pas se mentir, ni se le cacher. Le MMA, tel qu’il a été vendu aux médias et sur les réseaux sociaux (à l’image du film Fight club), ne donne pas une image positive de ce sport. Pour certains, ces gladiateurs ressemblent à des bouchers sans cœur qui frappent leurs adversaires au sol. Nous sommes face à une objection morale qui esthétise la violence, à « quelque chose de dégradant et dangereux » selon l’ancien ministre des sports Jean François Lamour (Journal L’Equipe, septembre 2020).
S’arrêter à ces faits ou opinions, c’est avoir une vision limitée et trop focalisée sur la présentation d’un aspect de la pratique du MMA. C’est avoir une idée arrêtée de ce que cette combinaison d’arts martiaux peut apporter aux pratiquants dans des domaines tels que l’éducation, la formation à un esprit critique et à la gestion des risques, le développement des ressources physiologiques, physiques et motrices, la gestion des émotions et de l’apprentissage de la confiance en soi, et enfin sur la sécurité de sa pratique.
En tout cas c’est ce que pensent bon nombre d’éducateurs sportifs et professeurs d’EPS ainsi que notre actuelle ministre des sports Roxanna Maracineanu qui a permis la prise en charge du MMA par la Fédération Française de boxe en recherchant la formation des encadrants et la réglementation de ce sport.
Tout comme moi, nous croyons dans les dimensions éducatives et sécuritaires du MMA. Matthieu Quidu, Docteur et professeur agrégé d’EPS à l’ENS de Lyon l’enseigne depuis de nombreuses années et met en avant les valeurs éducatives de ce sport. C’est notre rôle, en tant que professeur d’EPS, de prouver que le MMA peut être éducatif et contribuer à l’acquisition de valeurs éducatives et sportives.
En effet, à l’Ecole, la lutte, le judo, la boxe anglaise ou française sont enseignées car elles portent ces valeurs sur le plan de la citoyenneté, de la prise de responsabilité, de l’apprentissage de la vie en groupe, du partage de règles communes. Ces activités qui appartiennent au champ 4 des apprentissages : « Conduire et maîtriser un affrontement collectif ou individuel » permettent de construire les compétences motrices, méthodologiques et sociales tel que cela inscrit dans les programmes nationaux d’EPS.
L’association MMA SCO_U créée en 2021 et composée de chercheurs, professeurs d’EPS a pour objectif de contribuer à cette dynamique de réflexion sur un MMA éducatif et sécuritaire et cherche à montrer que l’on peut valoriser des profils très variés au travers de stratagèmes pré établis s’appuyant sur des capacités et des ressources différentes
Peut on rêver d’un MMA au niveau scolaire? Si cela n’est pas d’actualité, on peut malgré tout faire la démonstration que cette activité à toute sa place à l’Ecole à condition de mettre en place certains aménagements.
Boxer, puis venir saisir un adversaire pour lutter et l’amener au sol pour le contrôler. N’est-ce pas une combinaison ou un mixte de sports d’opposition ? Le MMA est bien un sport d’opposition combinant des actions de percussions et de préhension. Pourquoi n’aurait-il alors pas sa place à l’Ecole ?
Il faut je le crois se détacher de la vision sectaire et trop attachée au show business véhiculée par le MMA. Les provocations par le biais de réseaux sociaux, de trash talking, …, font partie du décor du milieu professionnel avide d’argent. Tout ceci est mis en scène et bien organisé jusqu’à l’événement sportif.
Pour montrer toutes les facettes éducatives et formatives du MMA, il faut je le pense être en rupture avec le MMA professionnel. Tout comme la boxe et la lutte, il est nécessaire de réaliser un traitement didactique de l’activité pour en prendre les aspects les plus formateurs au regard des attentes de l’Ecole. Il est aussi nécessaire, tout comme les nouveaux représentants de la Fédération Française de MMA le prônent, de le rendre sécuritaire et éducatif. En effet, de nombreuses études sociologiques et psychosociologiques ont montré que les jeunes ont une attirance pour les pratiques à risque car elles permettent de valoriser l’estime de soi, de montrer sa valeur au sein d’un groupe, (Irwin et Millstein, 1986), de montrer son rejet de l’autorité et des règles. La démocratisation des pratiques à hauts risques se développent souvent en dehors de tout environnement institutionnel et réglementé. Ceci est bien connu notamment dans les pratiques hors cadre réglementaire de pleine nature. Si l’on souhaite que les jeunes aient un esprit critique vis-à-vis du sport spectacle, qu’ils puissent savoir évaluer les risques et apprendre à y renoncer, qu’ils connaissent les risques encourus par la pratique professionnelle et qu’ils effectuent alors les bons choix de façon raisonnable et lucide, je pense que c’est à nous, éducateurs, professeurs d’EPS, de faire l’effort de didactiser cette activité. En effet, en tant qu’enseignant exerçant en milieu scolaire, nous ne sommes pas obligés de souscrire aux dérives existantes dans le sport de haut niveau (UFC, Bellator, ONE Fc…) dont l’objet est de générer du profit. Nous devons nous en tenir à notre rôle d’enseignant, d’éducateur, de formateur et chercher essentiellement à respecter la logique interne de l’activité, c’est-à-dire ses traits les plus pertinents.
Didactiser le MMA, c’est se questionner sur les enjeux de formation. Qu’est-ce que l’on gagne à l’enseigner ? Quelle en serait la plus-value éducative parmi toutes les activités proposées dans le champ 4 ? Quelles valeurs éducatives apporteraient l’enseignement du MMA ? Comment amener les élèves à prendre des risques dans leur pratique sans se mettre en danger ? C’est aussi s’intéresser au développement du jeune sur le long terme au travers de la pratique du MMA. Comment l’enseigner en respectant son développement psychologique et social, sa maturation afin de pouvoir favoriser un développement optimal de ses ressources ?
Vouloir éduquer les élèves sur la sécurité et la prise de risque ne peut s’envisager en supprimant le risque en cours car la construction active de la sécurité des enfants en dépend (P Goirand, 2000). Mais, ce risque doit bien entendu être réduit, en toute connaissance de cause, en proposant une progressivité didactique, en anticipant les sources de danger (appareillement d’élèves sur le plan du niveau de maîtrise, de comportements, de morphologie, …), en aménageant, en guidant, en régulant et en contrôlant ce qui est enseigné et réalisé. En effet, le risque consiste à miser quelque chose pour rechercher un gain, sans certitude de l’obtenir. On voit que la notion d’incertitude est ici présente. C’est sur cette notion d’incertitude que l’enseignant d’EPS devra être un habile passeur de savoir et montrer toute l’importance de ne pas s’engager sans avoir en sa possession les connaissances suffisantes en matière de règles, sans avoir construit des habiletés préventives face au risque, sans être capable de reconnaitre les facteurs de risque. Ceci devra donc être intégré pour que le jeune puisse être en mesure de réduire au maximum dans ses comportements, la dissonance subjective entre les coûts et les bénéfices
L’effort consenti pour didactiser l’activité doit déboucher sur la preuve que le MMA répond aux différents domaines du socle commun et aux finalités de l’EPS : « l’EPS a pour finalité de former un citoyen lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué, dans le souci du vivre ensemble. Elle amène les enfants et les adolescents à rechercher le bienêtre et à se soucier de leur santé » (Programme du collège, 2015)
Ceci étant dit, comment cela peut-il se formaliser ?
-Former un citoyen lucide : Cela se traduit en premier lieu par son attitude vis-à-vis de son adversaire ou partenaire, en respectant son intégrité physique, en ne cherchant pas à lui faire mal de façon intentionnelle et déterminée. C’est aussi respecter les règles, et celui qui est responsable de leurs applications (l’arbitre). C’est aussi d’accepter la décision de l’arbitre suite à l’opposition. Un citoyen lucide c’est aussi un élève qui apprend à gérer ses émotions et qui ne se laisse pas emporter par celles-ci. Il apprend à les gérer, à les maitriser pour pouvoir agir avec discernement. On le sait, sur le plan neurophysiologique, les sensations fortes liées à la perception du risque serait susceptible d’augmenter les mécanismes cérébraux à l’origine de la production de la dopamine (neurotransmetteur à l’origine du plaisir). Les adolescents ont parfois des difficultés à gérer leurs émotions en raison d’un taux trop élevé de dopamine
-Former un citoyen autonome : C’est permettre à l’élève d’accéder à des repères, des connaissances qu’il va pouvoir exploiter pour s’organiser lors de l’opposition. C’est donc lui permettre d’accéder à des outils et méthodes d’entrainement pour optimiser ses compétences en s’appuyant sur ses points forts. C’est donc former un élève réflexif qui n’agit pas sans objectifs, ni projection. C’est former un élève qui va pouvoir s’investir dans des rôles à responsabilité de façon autonome grâce à l’acquisition de connaissances (rôle d’arbitre central et d’arbitre de table, ou de coach assistant)
-Former un citoyen physiquement éduqué : c’est former un élève qui sait se préparer à un effort et à une opposition scolairement réglementée. Il connait donc l’importance de l’échauffement sur le plan de la vie physique, mais aussi les risques sur le plan de l’engagement physique, notamment sur l’emploi de techniques prohibées en milieu scolaire. Ce dernier point est d’une importance capitale puisque l’élève est formé à respecter l’intégrité physique d’autrui (mais aussi son intégrité physique en ne tentant pas de techniques farfelues). C’est se former à savoir chuter seul ou à deux sans risques.
-Former un citoyen socialement éduqué : c’est accepter et respecter des règles communes. C’est favoriser le travail en tutorat soit en conseillant son partenaire lors des entrainements, soit en le coachant lors de l’opposition pour l’aider à progresser. C’est accepter de travailler et de côtoyer les filles comme les garçons, issus de toutes religions, dans un espace où le vivre ensemble est le maître mot. Apprendre ensemble, c’est créer des connivences, être dans le partage, savoir vivre ensemble. Enfin, c’est permettre d’accorder une confiance mutuelle dans l’exécution de techniques employées par l’un ou l’autre car chacun connaissant les risques qu’elles peuvent faire encourir.
Nous le voyons, le MMA, rendu scolairement enseignable, répond aux finalités éducatives de l’EPS et de l’Ecole. C’est une pratique sociale et culturelle existante au niveau mondial que l’on ne peut ignorer et que l’on doit prendre en charge pour apporter un esprit critique vis-à-vis de ce que les réseaux sociaux véhiculent comme image. En effet, 1,2 milliards de foyers dans 158 pays différents visionnent les combats de MMA sur les chaines télévisées ou sur internet. En France, plus de 260 000 spectateurs suivent les championnats, et 30 000 à 50 000 pratiquent le MMA en France au sein de 240 clubs.
Pour montrer davantage l’intérêt d’en faire une forme de pratique scolaire et les enjeux de formation qui en découlent, nous allons montrer en quoi cette activité répond à différentes dimensions.
4 dimensions seront prises en exemple :
-la dimension motrice : elle permet l’enrichissement du bagage moteur en développant les habiletés motrices, la coordination gestuelle, l’équilibre, les aspects posturaux (équilibre et ajustement posturaux). Elle permet d’apprendre des formes de corps variées spécifiques à chacune des disciplines composant le MMA, à gérer le transfert de son poids sur celui de l’adversaire ou inversement et de gérer ce couple d’équilibre-déséquilibre créé. Elle favorise l’apprentissage du ressenti, notamment pour coordonner des actions en déviant ou absorbant la force de l’adversaire pour le déséquilibrer ou le mettre en mouvement. Le développement de la force, de l’endurance, de la puissance, et du système cardio vasculaire est également très sollicité
-La dimension cognitive : N’en déplaise à ceux qui croient que le MMA consiste à frapper fort un adversaire pour lui faire mal, cette activité est riche sur le plan cognitif. Elle permet de développer le sens de la perception notamment lors des saisies en lutte et d’affiner la sélection de la réponse dans la prise de décision et au niveau du timing dans les actions à engager. Elle permet de développer la prise d’information pour anticiper les actions adverses et décider des meilleures solutions à apporter. Elle favorise la réflexion sur ce qui a été accompli, les erreurs réalisées et les remédiations à employer. Elle permet de construire un projet d’intervention, de le tester, de l’éprouver et d’en vérifier la réussite ou l’échec. Cette réflexion couplée à de l’observation est un moyen d’éduquer les élèves à la compréhension du mouvement humain, aux fondements biomécaniques et à la compréhension des forces mises en jeu. En utilisant la verbalisation, les élèves sont ainsi capables d’exprimer leur ressenti, d’expliquer comment ils ont agi, de raconter le déroulement de la séquence d’apprentissage, … Ils mettent des mots sur leurs émotions
-La dimension physiologique : la pratique du MMA engage le corps dans toutes ses dimensions et sollicite l’ensemble des masses musculaires, différents régimes de contraction musculaire. Les temps d’efforts et de repos sont courts mais répétitifs ce qui fait de cette activité physique une activité à forte sollicitation énergétique. C’est donc une activité support intéressante pour lutter contre la sédentarité et les problèmes d’obésité. La souplesse, la mobilité du corps ainsi que la proprioception sont des qualités hautement mises en jeu. Le MMA est donc une activité très complète dans le développement corporel, physique et physiologique à condition d’être didactiquement traité avec intelligence.
-La dimension psycho sociale : c’est une dimension très importante dans la construction du jeune, notamment dans cette phase recherche d’identité où le jeune cherche à exister, prouver sa valeur. Bien souvent, l’accès aux réseaux sociaux ou à des sites tels que youtube, permet la visualisation de combats professionnels tant décriés par les parents et responsables de l’éducation. Les jeunes n’ont pas suffisamment de recul pour comprendre que ces combattants sont des professionnels et que le cadre dans lequel ils évoluent est un système de sport spectacle où l’argent domine et véhicule parfois des valeurs moins glorieuses. Notre rôle à travers l’enseignement d’un MMA aseptisé de ces trash talking et de tout autre comportement non en adéquation avec les valeurs et l’éthique sportive, est justement d’apprendre aux jeunes à maîtriser leurs émotions et leur agressivité, de respecter les personnes avec qui elles s’entrainent ou s’opposent, de respecter son adversaire dans la victoire comme la défaite, de ne pas chercher à mettre en danger l’intégrité physique du partenaire ou adversaire. C’est aussi lui permettre de prendre confiance en soi, de mettre en valeur ses points forts au travers des différentes situations qu’il rencontre en boxe ou en lutte et l’occasion de remercier le partenaire sans qui, les progrès ne pourraient exister.
L’intérêt de l’enseignement d’une pratique physique et sportive, c’est qu’elle doit permettre de réinvestir les connaissances acquises, les compétences développées dans d’autres contextes. Le MMA s’il est correctement didactisé, peut permettre un réinvestissement des apprentissages dans des activités sportives comme le rugby ou les sports collectifs. En effet, l’apprentissage des chutes peut être réinvestie en sports collectifs notamment lors de contact pour la possession du ballon. Le développement d’habiletés notamment au niveau des appuis lors des déplacements en boxe peut se transférer aisément en sports collectifs dans les changements de direction ou pivot. Les activités réflexes développées au cours de la boxe peuvent également voir leur utilité dans les activités telles que le tennis, le tennis de table, le volley-ball. Plus largement, les méthodes de construction de projet d’apprentissage peuvent aussi être transférer en suivant le même cadre d’analyse et de réflexion dans des projets autres que sportifs. Observer, analyser, ne pas s’engager trop rapidement et prendre de décisions mesurées en ayant anticipé les événements, …, sont des points d’appuis à construire et transférer. Le praticien réflexif doit être largement recherché pour prendre des risques mesurés (coûts-bénéfices) et s’organiser pour atteindre ses objectifs
Pour finir et justifier l’intérêt que la profession de professeur d’EPS doit porter vis-à-vis du MMA pour le rendre scolairement enseignable, je rappellerai qu’en 2016, une mission parlementaire s’est intéressée à la pratique des arts martiaux mixte. Il s’agissait pour Mrs Patrick VIGNAL (Député) et Jacques GROSPERRIN (Sénateur) d’Identifier les enjeux politique, sportif, économique, réglementaire
Il a été noté plusieurs axes de travail.
Sur le plan politique, nous retenons qu’il a été demandé de :
• Ne plus ignorer une pratique sportive organisée en marge de la réglementation du sport en France
• Encadrer le développement et l’enseignement des combats mixtes ou pluridisciplinaires afin de pouvoir les réglementer et les contrôler
• Eviter l’incitation à la marginalisation ou au processus de radicalisation de certains des pratiquants
• La pratique des arts martiaux et des sports de combat doit permettre de construire l’individu, sa maitrise au regard de la violence (éthique et éducation sportive).
L’Ecole et l’EPS ont un grand rôle à jouer dans cette dynamique de construction du MMA éducatif et sécuritaire en France. En effet, Le ministère des Sports et le mouvement sportif ont pour objectif de structurer et renforcer le développement éducatif et sécurisé des combats mixtes au sein des fédérations délégataires. En tant que professeur d’EPS, nous sommes interrogés sur cet objectif. Il est l’heure pour nous d’investir ce champ
URIAC Stéphane
Professeur Agrégé d’EPS au Collège Marthe ROBIN
Formateur à l’université en STAPS
BF 2 MMA
Entraineur de la section jeune à NRFight Reunion (Tampon)
2 Réponses pour Le MMA, vilain petit canard des sports de combat?